L’industrie vit actuellement une triple révolution : digitale, verte et sociétale. Un changement qui s’explique notamment par la multiplication de capteurs sur les sites industriels, un engouement prononcé pour les énergies renouvelables, une prise de conscience de notre impact sur l’environnement et des économies réalisables sur le plan énergétique.
Dorian Grosso est l'ancien responsable R&D intelligence artificielle (IA) chez METRON. Il a pour mission de lever les verrous technologiques liés à l’IA. Nous l’avons interrogé sur le rôle que peut jouer l’intelligence artificielle dans la recherche de performance énergétique au niveau industriel. Comment interagit-elle avec l’humain dans la prise de décisions ? Quelles sont les spécificités de la solution METRON ?
Comment peut-on définir l’intelligence artificielle ?
Concrètement, l’IA s’attache à développer des techniques mathématiques et des algorithmes permettant d’insuffler aux machines la capacité de reproduire - sous certains aspects - une intelligence réelle. Cette définition standard fait écho à la vision qu’ Alan Turing avait de l’intelligence artificielle dans les années 1950. D’après le test inventé par le célèbre mathématicien, une intelligence artificielle atteindrait son apogée dès lors qu’un humain ne serait plus capable de savoir s’il interagit avec un homme ou une machine.
En y regardant de plus près, on peut distinguer deux grands types d’intelligence artificielle.
- L’IA symbolique est généralement matérialisée sous la forme d’un arbre décisionnel prédéfini. La décision finale résulte d’une succession de réponses formelles à des questions structurées selon des règles logiques. De fait, l’IA symbolique est déterministe et facilement explicable. Ce type d’intelligence artificielle est également connu sous le nom de système expert et a été largement utilisé dans l’industrie pour la prise de décisions simples. Par exemple, si la température à l’intérieur d’un four est inférieure à 1500 °C, alors le flux de combustible au niveau de l’un des brûleurs doit être augmenté.
- L’IA connexionniste, nommée ainsi en référence aux réseaux de neurones, repose sur des algorithmes capables d’intégrer de nombreux paramètres et d’apprendre des scénarios à partir d’exemples empiriques (phase d’apprentissage). Ce type d’IA a aujourd’hui le vent en poupe. L’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs, la capacité à collecter des volumes, des flux et des variétés de données conséquents nous ont permis de faire converger les réseaux de neurones profonds, c’est à dire de les entraîner de manière efficiente de sorte à ce qu’ils réalisent correctement la tâche pour laquelle on les a entraîné sur de nouveaux exemples jamais vu lors de la phase d’apprentissage. De tels algorithmes peuvent intervenir à plusieurs niveaux au sein du processus visant à réaliser des optimisations énergétiques.
Schéma de l'IA symbolique (à gauche). Schéma de l'IA connexionniste (à droite).
Quelles sont les limites de l’IA ?
De nombreuses personnes prêtent à l’IA des capacités inconsidérées. Même si des prouesses considérables ont été réalisées ces dernières années, un certain nombre de verrous technologiques et fondamentaux doivent être levés.
L’IA symbolique est facilement explicable, néanmoins elle est relativement rigide et peut s’avérer rapidement inefficace face à des problèmes complexes. A contrario, l’IA connexionniste permet de résoudre des tâches compliquées et peut ainsi être appliquée à la modélisation statistique de processus industriels, à la modélisation de fonctions de coûts, à la prédiction de la consommation d’électricité, etc. Cependant, dans certains cas, les résultats probabilistes de l’IA connexionniste peuvent être difficiles à interpréter.
De façon plus générale, les limites de l’intelligence artificielle sont multiples, et d’origines diverses ! Elles peuvent être :
- externes – un manque de données, une mauvaise qualité des données ou une mauvaise compréhension de la problématique énergétique peuvent aboutir à des algorithmes non efficients ;
- inhérentes au problème traité – le nombre de variables indépendantes décrivant le problème est trop important et le nombre d’exemples empiriques disponibles pour entraîner l’algorithme est trop faible. On parle alors de fléau de la dimensionnalité ;
- sociales – quel est le taux d’erreur acceptable par les responsables d’un site industriel en cas de pilotage automatique d’une machine très onéreuse ? La confiance est au cœur du sujet, mais l’appréhension de la question est aussi d’ordre générationnel. Il faut savoir faire preuve de pédagogie pour convaincre et ne pas chercher à se substituer à l’humain. Nous sommes dans une démarche d’accompagnement avec une composante énergétique forte.
Quelles sont les spécificités de l’IA développée par METRON ?
Chez METRON, nous concevons une IA hybride combinant les deux types d’intelligence artificielle (symbolique et connexionniste). Cette approche innovante, alliant ontologie et Machine Learning, est orchestrée en trois temps.
L'ontologie, en bref
L’ontologie est une base de connaissances structurée qui contient des modèles de données représentant des concepts ainsi que les relations entre ces concepts.
1er temps - Au sein de l’ontologie METRON, nous retranscrivons la connaissance humaine du monde industriel. Nous définissons par exemple l’ensemble des utilités (compresseur, chiller etc.), les actions réalisées par les utilités (comprimer un fluide, etc.) ou encore les propriétés physiques rattachées aux fluides énergétiques (pression, degré d’humidité, etc.). L’un des objectifs de l’ontologie est de définir l’ensemble des concepts de façon générique une seule fois. Les concepts sont ensuite réutilisables d’un projet à l’autre, ce qui accroît notablement la scalabilité de notre solution.
2ème temps - Nous pouvons également assembler les concepts définis au sein de l’ontologie, comme des Lego, de sorte à construire le jumeau numérique des sites industriels. Ainsi, nous digitalisons :
- la configuration des sites industriels, c'est-à-dire la façon dont les machines sont reliées entre elles via des réseaux énergétiques dont le flux est orienté ;
- la signification métier des données issues des capteurs. Les séries temporelles des capteurs sont rattachées aux propriétés métiers stockées dans l’ontologie ;
- la connaissance des constructeurs de machines. Les données clés des fiches techniques peuvent être stockées dans l’ontologie.
De plus, l’ontologie est pourvue d’un « raisonneur sémantique » ou « moteur d’inférence ». Nous avons plusieurs types d’inférences, parmi lesquelles l’inférence via des règles logiques. Par exemple :
- si l’on connecte un réseau d’électricité à une utilité alors cette dernière hérite automatiquement de la propriété de « puissance électrique consommée » ;
- si un capteur mesure une énergie alors nous pouvons automatiquement calculer la puissance équivalente etc.
Ainsi, nous propageons instantanément un ensemble de règles métiers au travers du jumeau numérique.
3ème temps - Nous repérons et suggérons un ensemble de paramètres optimisables sur le site industriel. C’est alors que les algorithmes de machine learning entrent en jeu. Le jumeau numérique nous a permis de contextualiser les données, ce qui est un point crucial. Les algorithmes gagnent alors en autonomie, ils sont « conscients » de l’environnement dans lequel ils opèrent et vont pouvoir accéder facilement aux données dont ils ont besoin.
Nous pouvons alors prédire la consommation électrique des équipements, modéliser les utilités et process pour établir des références et des fonctions de coûts, détecter des dérives, etc. Finalité : pouvoir minimiser les fonctions de coûts associées aux rejets en CO2, aux coûts énergétiques ou encore à l’impact psychologique, tout en satisfaisant l’ensemble des contraintes métiers (contraintes physiques, contraintes de qualité et de volume sur la production etc.).
Comment METRON utilise son IA pour augmenter les capacités de l’Energy Manager ?
Il faut bien comprendre que l’IA n’a pas vocation à remplacer l’humain. L’objectif est au contraire de l’accompagner dans ses interventions de terrain. De l’opérateur sur site au directeur d’usine en passant par l’Energy Manager, METRON cherche à faciliter le travail de tous les intervenants pour qu’ils puissent se concentrer sur leurs missions à forte valeur ajoutée.
Les algorithmes d’IA peuvent facilement traiter des volumes, flux et variétés de données conséquents, et, finalement, être capables d’appréhender de manière très globale le fonctionnement de systèmes industriels complexes, ce qui prendrait un temps considérable à l'énergéticien dans certaines situations.
Nous développons un moteur d'IA permettant, au travers de notre plateforme, de réaliser des analyses complexes et en fournir une synthèse à l’utilisateur afin de prendre la meilleure décision à un instant clé. Nous pouvons indiquer à l’utilisateur la meilleure trajectoire des paramètres de contrôle à implémenter (que ce soit sur un four verrier, une centrale d’air comprimé ou une ligne de production de chocolat), de sorte à améliorer la performance énergétique. Libre à l’opérateur d’implémenter les préconisations, soit manuellement, soit par l’intermédiaire d’un système de contrôle de commande en temps réel. Nous fournissons également une vision globale (agrégation de sites) et locale (au plus près des machines) des flux énergétiques et des indices de performance comme les gains réalisés.
Le moteur d’intelligence artificielle METRON et l’humain sont alors complémentaires.
La solution technologique proposée par METRON tire le meilleur profit de l’IA en combinant les deux types d’intelligence artificielle : symbolique et connexionniste. L’IA symbolique permet d’obtenir une base ontologique à partir de la connaissance humaine des techniciens œuvrant sur le terrain. Il est alors possible de créer un jumeau numérique de l’usine. La mise en place d’algorithmes de Machine Learning complète ensuite le dispositif pour proposer des optimisations. Dans le domaine de la performance énergétique industrielle, l’IA permet ainsi d’effectuer des simulations dans un contexte précis. Mais elle ne vise en aucun cas à remplacer l’humain, qui reste décisionnaire des actions à mettre en œuvre concrètement. Vous souhaitez en savoir davantage sur la solution METRON ?